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Les moutons rêvent-ils de laine synthétique ? 

Arrêter la viande, le lait, les œufs, c’est faire le choix d’un mode de vie alternatif qui vise à respecter la vie animale, mais aussi à préserver la planète. Cette urgence éthique et écologique, nous la ressentons particulièrement lorsque l’on observe les méthodes des filières d’élevage industrielles extrêmement cruelles et dévastatrices pour les écosystèmes terrestres et aquatiques. L’élevage n’est bon ni pour les animaux (humains et non humains), ni pour la planète. Pourtant, souvent, il est moins aisé de faire le lien entre l’industrie de la viande et celle de la laine, car on a tendance à croire en une sorte d’accord tacite entre le mouton – qui fournit sa toison – et l’homme – qui, en échange, le nourrit et en prend soin. Or, et c’est l’objet de cet article, les conditions de vie des animaux auxquels on prélève de la laine ne sont pas des plus agréables, bien au contraire.

La laine de mouton

Comme toute branche de l’agriculture animale, l’industrie de la laine a pour objectif le profit et exploite l’animal comme une ressource générant du rendement. La laine peut dès lors soit être une source supplémentaire de profit lorsque les animaux sont élevés pour leur viande ou leur lait, soit être le produit principal de l’élevage. Dans un cas comme dans l’autre, les moutons finissent à l’abattoir dès qu’ils sont prêts à être mangés ou que leur rendement en lait ou laine décroît.

mouton-tonduAujourd’hui, le premier producteur de laine mérinos est l’Australie, qui tond plus de 70 millions de moutons chaque année pour produire 345 milles kilos de laine brute par 1 an . On se doute que les élevages sont à la hauteur de ces chiffres : énormes ! Ces animaux, destinés aux abattoirs, ne sont pas mieux traités que dans d’autres élevages et leurs conditions de vie et de tonte sont désastreuses, notamment à cause du mulesing. Il s’agit d’une pratique australienne destinée à éviter la prolifération des myiases, un type de mouche qui pond ses œufs dans les replis de peau des moutons mérinos 2, particulièrement fréquentes en raison du climat chaud, du manque d’hygiène des élevages et des toisons trop épaisses de ces moutons. Le mulesing consiste à découper à vif la chair du postérieur de l’animal ou à y fixer des pinces pour que celle-ci meure et tombe d’elle-même. Les deux procédés sont extrêmement douloureux pour l’animal et l’opération se fait la plupart du temps dans des conditions d’hygiène douteuses et sans aucune anesthésie ni analgésique. L’objectif est de recréer une peau plus lisse qui n’attirerait plus les mouches. Dans la pratique, la peau sanglante s’infecte souvent et est la proie des mouches, qui dévorent le mouton dans une lente agonie. Cruelle et inefficace, cette méthode continue d’être largement utilisée dans le pays qui exporte la plupart de la laine que nous consommons dans nos vêtements ou nos tapis, alors que des méthodes moins barbares et plus efficaces existent : laver les moutons régulièrement ou élever des races plus adaptées au climat.

Une enquête de PETA menée dans plus de 30 élevages en Australie et aux Etats-Unis a mis à jour l’extrême violence de la tonte des moutons : coups de poings, de pieds, de tondeuse ou même de marteau, les blessures occasionnées durant la tonte sont légion et recousues rapidement avec un fil et une aiguille, le tout sans anesthésie. Ce sont fréquemment des morceaux de peau, de mamelon, de queue ou d’oreilles qui sont sectionnés ou arrachés. Sans compter que dans leurs premières semaines, les agneaux voient leurs oreilles perforées et leurs queues coupées. Les mâles sont castrés à vif : soit leurs parties génitales sont coupées, soit on y attache un élastique qui coupe l’arrivée du sang pour qu’elles tombent d’elles-mêmes. Cette dernière est une des méthodes de castration les plus douloureuses, d’autant que si ça ne tombe pas assez vite pour le tondeur, il l’achève à la tondeuse. Chaque année, des centaines d’agneaux meurent de faim avant d’avoir atteint l’âge de deux mois, et des centaines d’autres, adultes, de maladies, de froid ou de négligence.

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gffddffgLorsque le rendement en laine des moutons commence à baisser : direction l’abattoir. Les moutons australiens sont en très large majorité exportés vivants pour être tués là où la main d’oeuvre est bon marché et où peu de mesures sont prises pour le bien-être animal : au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Chaque année, plus de [1] millions de moutons sont transportés, entassés vivants, dans d’énormes bateaux à l’hygiène déplorable où règnent les maladies. Ces voyages peuvent durer des jours, voire des semaines, et beaucoup de moutons supportent mal les chaleurs extrêmes, DSC04619tombent malades, sont piétinés, meurent même de faim, sans oublier les nombreux incidents où les animaux peuvent être maintenus en mer durant plusieurs semaines lorsque le bateau se voit refuser son accostage. La plupart seront finalement exécutés encore conscients, selon les règles Halal, alors que, paradoxalement, beaucoup d’abattoirs australiens possèdent la certification Halal et pourraient faire le travail, ce qui permettrait d’épargner aux moutons ce voyage inhumain.

Alors si on a l’habitude de penser que tondre un mouton, lui couper ses poils, est un geste indolore et même de bonté envers lui, on ne peut cacher qu’aujourd’hui, ce geste est lié à une industrie sanglante et cruelle, et qu’acheter de la laine, c’est soutenir ses méthodes.

Mais qu’en est-il de la laine « de chez nous » ? Car on pourrait arguer que la laine de nos vêtements vient de Belgique ou de nos voisins européens. Il faut cependant savoir que l’énorme majorité de la laine circulant chez nous vient des trois plus grands exportateurs mondiaux : l’Australie, la Chine et la Nouvelle-Zélande. A eux trois, ils totalisent presque 50 % de la production de laine vendue dans le monde, soit environ un milliard de tonnes par an. Le reste de la production vient d’Iran, d’Argentine ou du Royaume-Uni (chacun 503000 tonnes en 2005), ainsi que du Maroc, de Turquie, du Soudan, de Russie et d’Inde. La France produit moins de 5000 tonnes de laine par an, autant dire un poil sur un tapis persan ! De plus, les élevages mérinos sont en quantité infime en Belgique et on n’en trouve qu’une poignée dans le sud de la France. Votre pull en laine de mérinos made in France a dès lors statistiquement beaucoup de chances de contenir de la laine d’Australie, où la très grande majorité des élevages de moutons mérinos est concentrée.

L’argument écologique

Si l’argument éthique n’a pas déjà fini de vous convaincre, il faut savoir qu’entre l’élevage et les vêtements de laine traités à l’antimite, l’impact écologique de la production de laine est désastreux et menace à la fois les terres, l’air et l’eau. En effet, le purin généré par l’élevage du bétail et la fermentation intestinale de celui-ci ont largement contribué à l’augmentation des gaz à effet de serre des 250 dernières années, durant lesquelles la concentration de méthane a augmenté de 130 %. Aux Etats-Unis, cette production de méthane représente non moins d’un quart des émissions de méthane issues de l’agriculture. En Nouvelle-Zélande, on atteint les 90 % des émissions de gaz à effet de serre du pays.

En outre, l’élevage intensif provoque un changement important de paysage, entraînant une désertification et une érosion des sols, comme c’est le cas en Patagonie, qui était le second producteur mondial de laine jusque dans les années 1950. Aujourd’hui, l’intensification agricole fait que l’érosion des sols, selon le gouvernement, menace 93 % des terres de la région. Le purin et les matières fécales n’entraînent pas seulement un appauvrissement des sols, mais aussi une contamination des cours d’eau sur place et en aval en nitrogène (présent dans les urines animales) et en phosphore. En effet, de nombreuses études du National Rivers Water Quality Network et des enquêtes des pouvoirs locaux néozélandais ont montré un niveau de contamination de l’eau supérieur aux niveaux de potabilité dans tous les relevés depuis 1994. Plus récemment, l’eau est même devenue impropre à la consommation du bétail dans certains endroits, à tel point que le Parti National néo-zélandais a même lancé un plan de décontamination pour autoriser à nouveau la baignade dans 90% des rivières d’ici 2040.

L’utilisation de produits chimiques, notamment des antiparasitaires pour les moutons, nuit également à l’environnement et tue la faune aquatique en aval des élevages. C’est le cas d’un incident survenu en Ecosse en 1995 où l’équivalent d’une tasse d’un insecticide pyréthrinoïde avait tué quelques 1200 poissons dans la rivière en aval du lieu de déversement.

Les autres types de laine

Même si le mouton constitue l’immense majorité du marché de la laine, d’autres animaux sont exploités pour leur poil, pour créer les textiles cachemire, angora, mohair et autres.

La chèvre angora, qui fournit le mohair, est généralement décornée une à deux semaines après sa naissance, à l’aide d’un fer chaud ou d’une pâte corrosive qui la fait se gratter à sang, peut lui brûler la peau et lui couler dans les yeux, causant une cécité. De même que les moutons, les mâles sont castrés sans anesthésie et la tonte est source des mêmes sévices. Mais contrairement à eux, ces chèvres ne possèdent pas de couche de graisse protectrice contre le froid. Dès lors, la tonte les prive de leur isolation thermique. Elles ont donc tendance à être très sensibles aux pluies et vents d’été et à tomber rapidement malades si elles ne sont pas mises à l’abri, ce qui est généralement le cas. Beaucoup meurent de pneumonie mais l’hypothermie et une nourriture inadaptée les rendent aussi sujettes à d’autres types de maux qui peuvent leur être fatals. Une fois leur rendement moindre, elles sont vendues pour leur fourrure ou tondues une dernière fois et vendues pour leur viande, dont le marché est de plus en plus friand.

Le cachemire, quant à lui, est traditionnellement récolté lorsque les chèvres cachemire perdent leur toison hivernale, en leur peignant le ventre. L’essentiel de la production vient aujourd’hui de Chine et de Mongolie et la méthode de récolte à la main s’est raréfiée car elle demande plus de temps et d’effort. Les chèvres sont tondues, ce qui est source de stress et de souffrance puisque, là encore, elles sont privées de leur isolation contre le froid des hauts plateaux.

Il est également indispensable de mentionner ici le cas du lapin angora, dont l’élevage est particulièrement épouvantable. La laine angora, très connue pour son agréable douceur, provient du lapin angora dont les très longs poils sont dus à une mutation génétique qui leur vaut d’être exploités dans des élevages pour l’industrie du luxe. L’enquête de 2013

Alors si après la lecture de ces quelques lignes vos chaussettes vous grattent ou votre pull vous démange, sachez qu’il est possible de les remplacer par une panoplie d’autres tissus chauds, doux et élégants qui ne sont pas faits de laine. Des alternatives éthiques et écologiques existent déjà, des matériaux véganes et éco-friendly se développent encore et demandent à être soutenus pour être produits à plus grande échelle. Et si vous avez décidé de vous débarrasser de toute laine et ne savez que faire de vos piles de pulls en poil de mouton ou d’angora, sachez que certains refuges pour animaux les récupèrent pour le confort de leurs pensionnaires.

Quels matériaux alternatifs ?

Les fibres synthétiques sont les plus abordables, elles remplacent avantageusement la laine car elles sont chaudes, mais leur coût environnemental est important. Pour le diminuer, vous pouvez opter également pour des fibres synthétiques recyclées ou recyclables (les marques Amaboomi, Patagonia ou Quechua en proposent), comme le nylon ou le polyester, ou encore pour des fibres mixtes (naturelles – soja, bambou – mais transformées chimiquement pour obtenir notamment de la viscose). Les textiles les plus respectueux de l’environnement et des animaux sont ceux issus de la culture de l’ortie, du chanvre et du lin[2](voir la marque La révolution textile), ou encore le pakucho, une « laine » de coton du Pérou qui, même s’il vient de loin, est un coton obtenu sans pesticides et récolté à la main. Dans tous les cas, choisissez de préférence des textiles labellisés : Ecocert, Ecolabel, Oeko-Tex standard, GOTS, IMO, EKO Skal, BioRe… Sachez également que certaines marques ont banni l’angora, comme H&M, Calvin Klein ou Tommy Hilfiger, sans pour autant être éthiques sur d’autres aspects de leur production. Mais n’hésitez pas non plus à arpenter les friperies pour donner une seconde vie aux textiles qui, même s’ils ne sont pas éthiques, ne généreront du moins pas de revenus pour l’industrie qui les aura produits.

Après ce bref aperçu des conditions de production de la laine chez nous et dans le monde, il est incontestable que celles-ci sont terriblement violentes à l’encontre des animaux, se soldant généralement par la mort de ceux-ci. En outre, l’élevage, même lainier, est souvent loin d’être soutenable pour l’environnement. Il n’y a donc plus de raison de continuer à supporter une industrie barbare qui tue des millions de moutons, de chèvres, de lapins, d’antilopes, de lamas… chaque année. En arrêtant d’acheter de la laine, c’est l’industrie lainière que vous boycottez, des millions d’animaux que vous sauvez, et notre écosystème que vous préservez.

Sarah Meurisse

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1) Chiffres issus de l’article d’AFP dans L ibération du 6 mars 2018 « En Australie, la tonte des moutons n’est plus seulement un métier masculin »

www.liberation.fr/planete/2018/03/06/en-australie-la-tonte-des-moutons-n-est-plus-seulement-un-metiermasculin_1634102

2) Le mouton mérinos est la star de l’élevage lainier, sa peau naturellement ridée et pleine de replis signifiant naturellement plus de laine par mouton. Domestiqué en Australie, il a subi au fil des siècles des sélections génétiques qui lui valent aujourd’hui de produire beaucoup plus de laine que nécessaire. Dans un climat chaud tel que celui de l’Australie, les malaises, évanouissements et même morts de chaleur sont fréquents.

3 ) menée par PETA en Chine (90 % de la production mondiale de laine angora), puis celle

4) de 2016 menée par One Voice en France ont révélé l’envergure des sévices envers ces lapins. Ceux-ci vivent entre deux et cinq ans avant que leur rendement ne diminue et qu’ils soient tués pour leur viande ou purement et simplement brûlés. Durant ces quelques années, ils sont entièrement épilés tous les trois mois environ, dans d’atroces souffrances et des cris de douleurs difficilement imaginables pour un animal qu’on entend généralement peu. Ces animaux, extrêmement craintifs, ont pour nature de détaler à chaque danger potentiel. Le simple fait d’être attachés sans pouvoir bouger est déjà une source de stress énorme et certains développent des problèmes cardiaques. Même si la tonte peut être pratiquée, notamment en Allemagne, l’épilation reste beaucoup plus répandue car c’est un must en matière de qualité de laine. Les lapins, eux, ont beaucoup de mal à s’en remettre et restent généralement sans bouger, isolés dans leurs cages, sous le choc et souvent blessés par l’opération qui a tendance à arracher la peau en même temps que les poils. Au froid, seuls, ces animaux très sociaux ont tendance à développer des psychoses notamment parce qu’ils ne peuvent exercer leurs instincts : creuser, sauter, courir ou se laver. Les plus chanceux d’entre eux sont probablement les milliers de mâles des grands élevages qui sont tués à la naissance, puisqu’ils produisent moins de laine que les femelles.

5) https://headlines.peta.org/humane-angora-farms-china-audit/

6 ) pour aller plus loin : https://one-voice.fr/fr/nos-combats/mode/angora/explication.html

[7] https://www.planetoscope.com/matieres-premieres/1181-production-mondiale-de-laine.html

[8 Pour aller plus loin : http://www.veganpaysbasque.org/comment-shabiller-ethique/

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