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Quels sont les liens entre le féminisme et le véganisme ?

Introduction :

D’une manière générale, il n’est jamais facile de soutenir une opinion minoritaire, ni même une idée contraire à la culture dominante. Alors que d’une part les féministe ont droits aux commentaires « mais bon quand même vous n’êtes pas une de celles qui militent les seins nus ?», les végétariens doivent sans arrêt se justifier sur leur santé ou leur amour pour les animaux.

Dans notre société patriarcale, le pouvoir de l’homme sur la femme est bien ancré de même que l’habitude de manger des animaux. C’est inconscient, mais c’est comme ça, l’ordre des choses est de tuer les animaux, ainsi que de penser que les hommes sont plus forts que les femmes.

Donc, pour le comprendre et en prendre conscience il faut procéder à la déconstruction du discours dominant. Dès lors, être féministe ainsi qu’être végane revient à se dresser contre l’ordre établi, à remettre en cause toute discrimination, toute violence et oppression. vegan

Féminisme et véganisme sont alors tous deux vus comme des attaques à l’ordre naturel des choses, aux traditions, ce qui peut susciter des réactions assez violentes.

Féminisme et véganisme se rejoignent sur un point, l’un comme l’autre cherchent un idéal de justice. D’une manière générale, les mouvements féministes s’opposent à la misogynie et à la domination patriarcale (donc celle des hommes sur les femmes). Les véganes, anti-spécistes, rejettent l’exploitation animale.
Oppression, domination, objectivation des femmes d’une part, des animaux de l’autre part, ces luttes ne s’entrecroisent pas forcément de manière évidente, et pourtant des liens existent. Tout cela va nous conduire à réfléchir sur les rapports de domination et l’idéal de justice sociale.

Lors de dîners de famille, combien de fois n’ai-je pas entendu cette phrase : « Mais bon ton frère lui il a besoin de viande. » Et oui, même si on prépare un délicieux repas végane, vous savez, les hommes ont besoin de leur morceau de chair. Donc, dans l’imaginaire social, tout porte à croire que la viande est nécessaire aux hommes. En effet, symbole de force physique, les hommes sont forts, en tout cas se doivent de l’être, donc ils ont besoin de viande.

Souvent associée à la virilité la consommation de viande est symbole de masculinité, mais aussi de pouvoir sur le corps à l’instar du pouvoir des hommes sur le corps des femmes. En effet, deux enjeux sont soulevés par le véganisme et le féminisme : la préoccupation pour le bien-être animal et la justice pour les femmes. Le combat devient alors politique et les luttes convergent. L’idée est donc de s’attarder sur le concept de violence et de comprendre les liens entre la violence patriarcale et la violence faite aux animaux.

9781441173287Pour cela, un ouvrage particulièrement intéressant est celui de Carol J. Adams, “La politique sexuelle de la viande” qui nous servira de fil conducteur. Cette théorie critique féministe végétarienne est essentielle pour comprendre les liens entre la domination masculine et la consommation de viande.

Un premier problème se pose, historiquement, si un groupe d’humains dispose de peu de viande, elle sera distribuée aux hommes, et pour les femmes il restera les légumes. Cela suit la même idée qu’au début de l’article, les hommes en ont besoin, ce qui explique que le véganisme est plus facilement accessible aux femmes et assimilé à la féminité. La viande est donc une denrée pour les hommes, symbole de leur pouvoir sur les femmes.

Comme le souligne Carol J. Adams, il y a donc un lien entre consommation de viande et identité masculine. Les hommes sont les as des barbecues, puis dans la société, l’idée que consommer les muscles d’un autre animal nous procure de la force est bien ancrée. Dès lors c’est en consommant de la viande que nous acquérons les attributs de la masculinité.

En suivant cette idée, nous constatons que les légumes et tout ce qui touche au monde végétal sont alors associés à la féminité, et en conséquence à la passivité. Alors que “végétable” signifiait vivant, actif, depuis qu’il est lié à la femme il a changé de sens. Dès lors nous comprenons la difficulté pour les hommes à se tourner vers le végétarisme en ce qu’il s’oppose à une part de leur rôle masculin.

De plus, le processus de création de la viande implique littéralement un démembrement de l’animal c’est-à-dire une séparation affective et intellectuelle avec son envie de vivre. Donc ce processus va rendre l’animal absent, lors de sa consommation il est devenu viande. L’animal vivant est devenu cadavre, mais l’utilisation du terme viande permet de faire appel à un imaginaire gastronomique, laissant aux oubliettes l’animal démembré pour le rendre consommable. L’animal vivant est donc le référent absent.

Mais quel est le lien avec la violence faite aux femmes ? Pour expliquer cela Carol J. Adams met en évidence un cycle de réification (1), fragmentation(2) et consommation(3).41J3ovWISvL._SX329_BO1,204,203,200_

(1) Revient à percevoir un être vivant comme une chose
(2) Transformation des animaux vivants en produits de consommation, fragmentation imagée du corps de la femme.
(3) Peut-être littérale pour l’animal ou le corps de la femme, mais la surconsommation peut aussi passer par des images de femmes. La viande peut aussi être utilisée pour décrire la violence faite aux femmes.

Notons que l’acte de fragmentation tend à être oublié dans le processus pour passer de la réification à la consommation. Nous ne cherchons pas à savoir ce qui se passe entre temps, preuve en est : les abattoirs sont des lieux clos, situés dans des zones lointaines. La violence instrumentalisée se veut cachée, loin des yeux de tous. Pour ce qui est des femmes l’idée est que leur corps passe aussi par ce processus afin d’être rendu « consommable ».

En d’autres termes, animaux et femmes subissent une même logique de domination et d’exploitation. Plaisirs gustatif et sexuel vont alors de pair, comme nous le verrons dans l’article consacré à l’objectivation du corps dans les campagnes publicitaires dans notre société le corps des femmes est réduit à des parties (seins, fesses, cuisses) à l’instar de celui des animaux (steak, côtelette, poitrine). Donc, tant les femmes que les animaux subissent la réification, fragmentation pour être consommé-es, et cela peu importe leur sensibilité et leur individualité.

D’un point de vue du langage il existe une fusion entre les oppressions subies par les femmes et les animaux. Pour les animaux, parler de viande et non de cadavre est déjà une manière puissante d’institutionnaliser la violence envers eux.

Finalement la politique sexuelle de la viande peut s’expliquer comme une attitude qui animalise la femme et féminise l’animal. Donc, les femmes ont été réduites à quelque chose de moins civilisé que les hommes, ce qui a permis à ces derniers de les exploiter.

C’est donc bel et bien ce processus d’objectivisation qui permet cette domination. Processus à deux sens, les féministes qui dénoncent cette objectivation speciesismdevraient remettre en cause leur consommation de viande, parce que la violence faite aux femmes ou aux animaux répond au même processus mental.

De plus, selon les croyances communes la viande et l’humain entretiennent un rapport où l’énergie de l’animal est transférée à la personne qui la consomme. Dès lors, la chair est associée à la puissance et à la force physique, donc à la masculinité. De ce fait, c’est un acte fort que de sortir la viande de son assiette parce qu’elle est le symbole du patriarcat. Comme J.Adams le souligne « pour déstabiliser la consommation patriarcale, mangez du riz, faites confiance aux femmes » p318.

Féminisme, racisme et spécisme : un pied de nez à l’ordre établi ?

Nous vivons dans une société dont la valeur égalité est revendiquée pourtant, dans n’importe quelle société nous trouvons des groupes de dominants et des groupe de dominés. Et, il existe toujours des justifications, des discours qui légitiment la position de ces groupes et leur oppression. Tout cela nous amène à nous poser quelques questions : quels sont les liens entre les oppressions que subissent certains groupes sociaux ? Comment se fonde la distinction entre les groupes et quelles sont les conséquences ?

Les féministes matérialistes sont les premières à avoir dénoncé l’idéologie naturaliste, c’est-à-dire la pensée qu’il y a un ordre naturel des choses. Elles ont mis en évidence que les groupes de race ou de sexe sont des constructions sociales et qu’ils sont traversés par des rapports de pouvoir.

Il en découle des mécanismes de domination semblables et une stigmatisation d’un groupe. Qu’en est-il des animaux et de la suprématie des hommes sur eux ?
Sous quel prétexte les humains se permettent-ils de tuer, de les massacrer, torturer, dompter, gaver, dépecer, dresser,… ? De tels comportements appliqués à l’homme seraient considérés comme atroces. Pourtant la croyance selon laquelle un animal est inférieur à l’homme suffit à leur infliger un traitement différent. De la même façon, la pensée qu’il existe une hiérarchie naturelle justifie le racisme ou le sexiste. Donc, les animaux feraient partie d’une autre espèce, sans langage, sans outils, sans culture, à l’inverse de l’humain qui lui est culture. Les animaux sont donc là pour nous servir, parce qu’ils sont moins importants que nous. Nous vivons donc dans une société profondément spéciste et nous traitons les animaux comme il le faut, parce qu’ils sont vraiment différents.

Mais une différence d’espèce devrait-elle donner le droit de tuer et d’infliger des choses horribles à l’autre espèce ? En effet, alors qu’un canapé est indifférent à un coup de tête. Une vache réagira à une décharge électrique. On le sait, les animaux sont capables de ressentir la douleur.9780231140393

C’est un premier point, mais il faut aussi souligner que les humains essaient tant bien que mal de s’extraire de la place qu’ils ont dans le continuum des espèces. Darwin déjà s’accordait à dire qu’il n’y a pas de différence de nature, tout est une question de degré. Dès lors l’humain essaie tant bien que mal de mettre en altérité l’animal pour légitimer son traitement.

De plus, comme le féminisme défend l’idée que les catégories masculin et féminin sont des constructions sociales, le spécisme permet de dénoncer les discriminations faites sur base de l’espèce, comme le sexisme ou le racisme. Nous en venons donc au fait que l’espèce est aussi une construction sociale et qui se fonde sur des critères arbitraires.

Le sexisme, racisme ou spécisme fonctionne donc de manière semblable : il existe des rapports sociaux hiérarchiques et discriminatoires qui se fondent sur la naturalisation des groupes. Cela fonctionne autant pour la dichotomie homme/femme que pour être humain/animal ou encore nationaux/étrangers.

Les féministes matérialistes se sont attardées à critiquer la logique de l’idéologie naturaliste. Effectivement, il existe un mythe dans notre société comme quoi les femmes s’occuperaient mieux des enfants, qu’elles seraient plus instinctives et plus douces que les hommes. Selon cette pensée la femme possède une essence, propre à sa féminité. Dès lors nous comprenons comment l’argumentaire naturaliste opère.

C’est le même principe avec les animaux : l’idéologie naturaliste va légitimer la hiérarchisation des humains et animaux. Ils ne sont alors que nature et instinct, relégués au second rang, ce discours ne permet aucune modification.

Pourtant il n’existe pas de réelles différences biologiques pour appuyer la distinction entre tous les êtres humains et tous les animaux. Il n’y a pas d’argument objectif pour justifier le sexisme, le racisme ou le spécisme. Nous exploitons les animaux parce que nous en avons la capacité.

Finalement, le spécisme contribue à des rapports de pouvoir inégalitaire entre deux groupes alors que nous vivons dans une société qui prône l’opposé. L’inégalité de traitement des femmes et des hommes, des noirs et des blancs, des humains et des animaux se fonde sur les mêmes principes.

Dès lors, l’égalité ne pourra être atteinte si et seulement si elle ne dépend pas de l’appartenance à un groupe de privilégiés. Donc, si nous voulons réaliser l’égalité il faudra réellement prendre en compte les intérêts de tous les êtres vivants.

Deborah Chantrie
Sociologue

Sources :

https://blog.l214.com/2015/09/09/oppressions-entrecroisees-point-vue-feministe-musulmane-vegan

Les vrais mâles préfèrent la viande – Convergences du féminisme et de l’antispécisme [1]


Carol J. Adams, 2016. La politique sexuelle de la viande. Une théorie critique féministe végétarienne. Edition L’âge d’homme Rue Ferou
Jonathan Fernandez, 2015. Spécisme, sexisme et racisme. Idéologie naturaliste et mécanisme discriminatoires. p51-69 Editions Antipodes. [En ligne] : ww.cairn.info – – 163.173.128.10 – 08/08/processus qu’elles dénoncent se reproduit à travers leur consommation de viande.

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